Pour une fois, je vais m'essayer à un article orienté stratégie, même si je n'ai pas la prétention de sortir une référence. C'est plutôt l'occasion de lancer une discussion.
Je risque d'ailleurs d'écrire quelques erreurs, ou d'enfoncer quelques portes ouvertes (à commencer par le sujet de l'article lui-même, que d'autres ont sans doute déjà traité), donc n'hésitez pas à me reprendre.
Désolé, c'est un peu long.
Le thème que j'ai choisi est celui des
tournois à rebuy, pour la simple raison qu'ils m'ont offerts quelques résultats probants. Je me souviens avec nostalgie de mon premier tournoi online remporté, un 2$ rebuy, ce qui m'a permis de faire décoller la bankroll d'alors.
Deux facteurs peuvent expliquer ma réussite : une
bonne gestion de la période de rebuy, qui peut me permettre de bien se positionner pour le début du freezeout, et le fait que les tournois deviennent de fait des
deep-stacks, ce qui correspond mieux à mon style tight et patient (alors que voyez, je n'ai pas de résultats notables en turbo).
Par ailleurs, je pense que ces tournois sont plus intéressants en terme d'EV à long terme :
- d'une part il y a
beaucoup de dead money liée aux joueurs qui recavent trop et à ceux qui quittent la partie avant la fin du rebuy,
- d'autre part (même si anecdotique), le montant du rake sera proportionnellement moins élevé car prélevé uniquement sur la 1ere cave.
Je ne parlerai que de la période rebuy, la suite étant plus classique et déjà largement débattue par ailleurs.
J'estime qu'il y a
deux stratégies opposées viables, l'une ayant bien sûr ma préférence.
Elles ont en commun ce préambule : caver max dès que possible, car le but est de chercher toutes les occasions de doubler, et à l'arrivée ça peut faire un beau paquet de jetons.
Stratégie ultra-tightLa première stratégie exploite le fait que tout le monde devient extrêmement loose pendant le rebuy, et surfe sur l'adage suivant : "
Joue à l'opposé de la table". Donc il faut activer le mode ultra-serrure, et pousser à fond les grosses mains, sachant que les adversaires sont prêts à gambler avec des mains moyennes.
L'idéal est de
partir à tapis le plus tôt possible, en misant donc très fort preflop et au flop.
Stratégie ultra-looseL'autre stratégie (que je préfère, je vais donc en parler plus) va à l'opposé et exploite un autre aspect du rebuy :
l'importance des côtes implicites. Grosso modo, sachant que les adversaires sont souvent prêts à mettre plein de jetons avec des mains justes correctes, je conseille de
limper toutes les mains sans exception et de suivre la plupart des relances raisonnables (5% du stack, voire plus avec une main à gros potentiel).
On peut ensuite penser qu'en touchant 2 paires ou mieux, il sera possible de prendre un gros paquet de jetons.
Par ailleurs, lorsqu'une main a trouvé un tirage, il est possible de suivre avec une côte explicite légèrement défavorable, sachant que si le tirage rentre, il peut être possible d'en retirer un bénéfice supplémentaire. Et pourquoi pas de suivre un ou deux tapis dans l'espoir de doubler ou tripler, sachant qu'il suffit de rebuyer pour revenir au stack de départ en cas d'échec.
En corollaire (et comme en stratégie tight), je pense que les grosses mains préflop (TT+, AJ+) doivent être poussées au maximum : un tapis direct (même s'il n'y a pas eu de relance) a des chances de trouver un adversaire prêt à gambler avec son Ax ou un suited connector (ou même avec trash absolu, profitons-en). Si je ne boite pas tout de suite, la taille de mon raise preflop doit en tous cas permettre de me retrouver committé le plus vite possible.
Pas de slowplay, pas de relance standard à 3 BB! C'est le meilleur moyen de se faire attraper par un joueur qui applique le paragraphe précédent.
Par ailleurs, j'aime "dynamiter" la table pour qu'il y ait le plus d'action possible. Avec une main potable, une
boite dès le premier tour de table donne le ton. Il est également possible de suivre plusieurs joueurs à tapis avec une main à potentiel (on n'a pas souvent l'occasion de faire x4). A défaut de prendre les jetons tout de suite, une image de maniaque peut être utile par la suite. Tous les jetons supplémentaires sur la table sont les bienvenus, même si ils sont payés de votre poche. Ils pourraient bien y retourner.
Par ailleurs certains joueurs tights vont être dégoutés et lâcher l'affaire, laissant un peu de dead money au passage.
Attention quand même à ne pas tomber dans l'excès, le but n'est pas de payer plus cher que ce qu'on peut espérer gagner ;). Negreanu avait un jour racheté 48 buy-in, l'obligeant à finir dans les 3 premiers pour se rembourser...
En me relisant j'ai l'impression d'être un malade qui rebuy 20 fois, alors que je ne recave généralement qu'une ou deux fois maximum.
L'idéal est d'avoir une table bien active avec de nombreux jetons dessus, ce qui permettra de jouer encore de gros pots après le rebuy.
La phase difficile se situe quand on a doublé une ou plusieurs fois. Il faut savoir se calmer un peu pour ne pas tout reperdre, mais sans lâcher la pression. Certains adversaires n'ayant pas doublé seront sans doute un peu désespérés et prêt à tout pour doubler. Il faut les identifier et les isoler avec les meilleures mains. Attention, votre gros tapis peut les intéresser pour doubler plus que les effrayer.
Oubliez les bluffs.
Le
dernier level du rebuy est généralement un peu particulier. Le limp commence à coûter cher, et de plus on se retrouve en général dans une dynamique "quitte ou double" (au sens propre). Si j'ai réussi à me monter un stack, je vais généralement laisser filer, sauf monstre. Sinon, j'estime l'avantage que je pourrais avoir par la suite sur la table, et soit je me "suicide"avec une main potable pour doubler et j'arrête les frais si je perd, soit j'attends tranquillement la fin si je pense que je peux quand même m'en sortir dans le tournoi avec juste un double rebuy + l'add-on, même en sachant que je pars sous l'average (ça m'a déjà réussi).
Je conseille ensuite bien sûr de
prendre l'add-on dans tous les cas de figure.
Bien sûr, une telle stratégie implique peut-être d'acheter une dizaine de caves (beaucoup de bad beats à prévoir, ne pas se décourager). C'est à prendre en compte dans l'inévitable
stratégie de gestion de bankroll. En ce qui me concerne, je considère arbitrairement qu'en moyenne ça va me coûter 6-7 fois le buy-in initial (j'assimile donc un 5$+R à un 30$ freezeout) et je me fixe également à l'avance un montant max de recaves.
Dernière chose avant de commencer la partie freezeout : ce que vous avez observé sur vos adversaires doit être remis à zéro, c'est vraiment un autre tournoi qui commence. Et attention sur les premières mains, certains joueurs donnent curieusement l'impression de continuer à jouer comme pendant le rebuy.